27 déc. 2006

Etre Touareg au Mali

Les Touareg occupent un espace immense, fondé sur ledésert, ancré sur des massifs sahariens - Ahaggar, Aïr et L Adrar des Iforas - et débordant sur ses marges septentrionaleset méridionales plus arrosées. Au nord, le pays touareg esten contact avec le domaine méditerranéen, alors qu’au sud il pénètrele monde (( soudanien )) : il constitue un pont entre le Maghreb et
l’Afrique noire. I1 existe un pays maure à l’ouest et un pays toubouà l’est (teda-daza, selon le nom que les Toubous se donnenteux-mêmes), avec une situation comparable. Dans chacun de cescas, une population culturellement homogène, majoritaire dans la
partie saharienne, tend dans les confins méridionaux à se superposer
aux populations paysannes, et aux Peuls partout présents. Les
courants migratoires se sont effectués selon des axes méridiens jalonnés
de massifs qui ont joué un rôle de refùge et de relais. Mais
le domaine des Touareg, contrairement aux deux autres, inscrits
pour leur plus grande part en Mauritanie et au Tchad, a été divisé
entre de nombreux États et se trouve éclaté entre Libye, Algérie,
Mali, Niger et Burkina Faso.
Une culture commune
Les Touareg possèdent une m-ême culture, appartiennent à une
même civilisation. Dans chaque Etat, ils occupent la zone la plus
aride, la moins peuplée, souvent la plus diflticile d’accès : ils se trouvent
presque toujours éloignés de la capitale politique. .Les caractères
communs de cette civilisation ont trop souvent donné lieu à
des stéréotypes qui ?nt été un écran et un obstacle à sa connaissance.
Ces images d’Epinal sont aujourd‘hui reprises par les médias et les sociétés de tourisme : (( hommes bleus )), et selon les circonstances,
(( chevaliers du désert )), courageux et loyaux, ou (( pilleurs
de caravanes )), lâches et fourbes, enfin (( hommes de nulle part D,
c’est-à-dire hommes des grands espaces toujours en mouvement, avec
la confusion encore souvent affichée entre errance et nomadisme (1).
Le dénominateur commun majeur est la langue et ceci est si
bien perçu au Mali qu’on ne parle guère de Touareg, terme français
peu connu de ceux qu’il désigne, mais de tanzasheq. Les Touareg
se rattachent à la grande communauté berbère qui se compose
en majorité de paysans réfugiés dans les montagnes (Atlas, Kabylie,
Aurès, Nefouza, etc.), dans les oasis (Mzab, Gourara, oued Righ,
etc.) et aussi de nomades montagnards (Kit Atta) ; une commynauté
linguistique qui, d’ouest en est, va des îles Canaries à 1’Egypte
(Siouah) et, du nord au sud, de la Méditerranée au sud du fleuve
Niger. Les Touareg dans cet ensemble constituent les nomades des
grands espaces arides : ils possèdent une forte originalité et leurs
caractères communs se retrouvent de Djanet à Tahoua. Ils sont les
seuls berbérophones à posséder une écriture dont les caractères (tifinagh),
anciens ou actuels, sont inscrits sur de nombreux rochers
sahariens.
On a beaucoup parlé de leur organisation politique dont le
modèle en (( confédérations D, basé sur une hiérarchie sociale rigide,
est reproduit dans l’ensemble du domaine touareg avec quelques
variantes, ici ou là, dans la part relative de chacune de ces catégories
: nobles (inzajeghen), tributaires (imghad), religieux (ineslemen),
serfs ou anciens serfs (iklan ou Bella selon la terminologie songhay).
Après la conquête, l’administration coloniale, l’indépendance,
l’étude des structures politiques et sociales touarègues tient un peu
de la reconstitution d’un édifice ruiné dont on ne peut reconnaître
que les pans de certains murs : il vaut mieux renvoyer à d’innombrables
études qui traitent de ce sujet. Que reste-t-il aujourd’hui
de la société touarègue? Comment est-on touareg? Tels sont les
prob1èm:s majeurs d’une société en pleine mutation, affrontée dans
chaque Etat à un pouvoir qu’elle conteste de plus en plus et à
la recherche d’un contrôle plus poussé de l’administration et de
la gestion de leur pays. La société touarègue existe encore avec ses
hiérarchies, ses chefferies, ses rigidités : les catégories déjà citées,
mais ‘aussi les Dahusahak (2) (comment les classer ?), les forgerons
et les Bella d’origine servile, possèdent des caractéristiques, des comportements
propres. Dans cette société, chacun doit rester à sa place
et se conformer au rôle qui lui est dévolu sous peine d’exclusion.
Le retour de jeunes partis à l’étranger, devenant souvent chômeurs
(ishumar en touareg), ce qui signifie bien qu’ils ne trouvent pas
de place à leur mesure, car ils ne reprennent pas les tâches pastorales
antérieures, donne une nouvelle dimension à cette société ;
cela pose le problème de la réinsertion d‘hommes disponibles ayant
acquis une vision du monde différente et souvent de nouvelles
qualifications.
Particularismes et diversités
Les Touareg maliens ne peuvent être coulés dans un même
moule. Par leur histoire, par leurs migrations anciennes, par leurs
implantations actuelles, ils se distinguent les uns des autres. Leur
économie, qu’elle soit exclusivement pastorale, pastorale et caravanière,
ou encore agro-pastorale, varie en fonction de la région où
ils vivent. Appartenant à une même civilisation, les Touareg occupent
au Mali un espace qui va de la zone saharienne à la zone
soudanienne, ils forment un pont qui relie l’Algérie et le Burkina
Faso. Le (( pays touareg )) malien, à l’extrême nord-est, est si éloigné
de la capitale, que Niamey est son débouché naturel, en cas
de crise, beaucoup plus que Bamako.
L‘Adrar des Iforas jouxte l’Algérie et les Kel Adar sont en relations
constantes avec leurs parents du Nord. Éleveurs et caravaniers,
ils participent au commerce du sel de Taoudeni et se rendent
sur les marchés algériens. L’Adrar des Iforas constitue un
monde isolé, à part, éloigné de la capitale; son chef-lieu, Kidal,
a été choisi à l’époque coloniale comme siège d’un bagne car l’éloignement,
le désert rendent quasiment impossible toute évasion. I1
constitue un bastion avancé dans le désert dont sont issus de nombreux
groupes touaregs. C’est aussi un haut-lieu de sites anciens,
impressionnants par leur nombre et leur importance : ces cités
médiévales aux constructions ruinées - habitations, mosquées, cimetières
- s’étendent le long de vallées comme Es-Suk (Tademakka),
la plus célèbre d’entre elles. Au nord-est du pays, les Iwellemmeden kel Ataram, (( ceux de
l’ouest D, occupent un vaste territoire qui s’étend jusqu’au fleuve,
dont le chef-lieu est Ménaka et qui, à l’est, possède une frontière
commune avec le Niger où vivent les Iwellemmeden kel Denneg,
(( ceux de l’est D, leurs parents, qui ont fait sécession au XVIII~ siècle.
Éleveurs au nord, agro-pasteurs au sud, ils se déplacent vers
les plaines septentrionales au cours de la saison des pluies pour
gagner les terres salées recherchées pour leurs troupeaux.
Dans la région de Goundam, de Tombouctou, les Touareg kel
Antesar et Tenguereguif vivent aux abords du fleuve et possèdent
des droits fonciers sur les terres les plus riches, en complémenta
rité et parfois en concurrence avec les paysans songhay, avec les
Peuls et Rimai%e, avec les pêcheurs Bozo. Ils ont le bénéfice de
rizières et des .pâturages irrigués (bourgoutières).
Dans le Gourma, les Touareg pratiquent un élevage extensif
et la cueillette de nombreux produits végétaux, en particulier le
fonio sauvage, c’est-à-dire de nombreuses graminées spontanées dont
le ramassage des graines, sur pied ou au sol, compense le manque
de mil ou de sorgho qu’ils cultivent peu. Plus au sud encore, aux
frontières du Burkina Faso, l’élevage extensif s’accompagne de cultures
pluviales, mil essentiellement.
Les Touareg possèdent donc une économie qui varie en fonction
.de leurs traditions propres et du cadre géographique de leur
implantation. Cette diversification qui a parfois pris la forme de
mutation, s’est accentuée à la suite de sécheresses qui se sont succédé
depuis 1968 : certains ont migré vers les terres plus arrosées
du Sud, vers les vallées ou vers les villes pour ceux qui avaient
tout perdu.
D’une révolte à l’autre
Les Touareg maliens ont été parmi les premiers à lever l’étendard
de la révolte contre l’administration coloniale et à s’opposer
par les armes aux militaires franqais. C’est Firhoun, amenokal (chef
suprême) des Iwellemmeden kel Ataram, qui incarne cet esprit dès
1914, puis qui cache son jeu jusqu’à son évasion de Gao en février
1916 où il prend la tête de la rébellion. L’affrontement décisif a
lieu à Aderambukan en mai 1916 : le campement de Firhoun est
attaqué par un détachement puissamment armé et Firhoun ne peut
que s’échapper. La révolte est brisée, mais Firhoun incarne le noble
guerrier qui a refusé toute compromission.
Le pays touareg du Mali a connu, il y a une quarantaine
d‘années, des insoumis qui, à titre individuel, se rebellaient contre
l’ordre établi de l’administration coloniale : on a fait le récit de
l’aventure de Kel Adar qui prenaient le maquis et tenaient en échec
l’autorité en mettant à profit leur connaissance d‘un pays immense
et accidenté. Après l’indépendance, l’administration et l’armée
maliennes occupent les chefs-lieux, les cercles et les postes laissés
par les administrateurs et les militaires français.
Isolés et loin de tout contrôle, les nouveaux chefs de poste font
parfois subir de nombreuses vexations aux Touareg qu’ils administrent,
et abusent souvent de leur pouvoir. Peu à peu, (( cette présence
militam-administrative est ressentie comme une occupation )) (3).


Les Touareg, à partir de janvier 1963 effectuent des coups de main
dans le nord de l’Adrar, à Kidal et dans de nombreux points et
s’emparent d’armes et de chameaux. Une guerre de mouvement
s’installe et les accrochages se succèdent. L‘armée, avec des équipements
modernes et en particulier des chars, l’emporte sur ces
guerriers qui mènent une guerre à l’ancienne. Les Kel Adar qui
ne s’étaient pas opposés à la pénétration coloniale, contrairement
à leurs voisins Kel Ataram de Ménaka qui avaient alors (1916) perdu
la majorité de leurs guerriers, ,se dressent cinquante ans plus tard
contre ces représentants de 1’Etat venus du Sud, qui se comportent
comme en pays conquis. En septembre 1964, ces guerriers
déposent les armes : la révolte a duré plus d’un an et demi.
Les Kel Adar se retrouvent appauvris, une grande partie de leurs
troupeaux ayant été détruits par l’armée et vaincus. Ils ont subi
une répression impitoyable par une armée mal à l’aise dans ce pays
lointain. Les hostilités se sont arrêtées, mais le fossé s’est creusé :
la région de Kidal reste une zone dangereuse, interdite aux touristes.
Les fonctionnaires maliens qui sont nommés dans la région se
considèrent comme punis, en exil.
De 1964 à 1969, les pluies sont abondantes et la zone touarègue
bénéficie de pâturages et de récoltes satisfaisantes. Les Kel Adar
commencent à reconstituer leurs troupeaux, mais à partir de 1969
une sécheresse s’insalle sur toute la zone sahélienne et les années
1972 et 1973 connaissent des déficits pluviométriques records. La
chute brutale des ressources fourragères provoque la mort de beaucoup
d‘animaux et oblige beaucoup de Touareg à quitter leur pays :
c’est un exode dans toutes les directions.
Vers le sud, ils convergent vers Niamey où ils sont regroupés
dans le quartier du (( Lazaret )) ; certains poursuivent leur route
jusqu’à Kano. Vers l’est, d’autres gagnent Agadez. Vers le nord,
ils se dirigent vers Tamanrasset et Reggan. Les réfùgiés de Niamey
sont rapatriés en 1974 par les camions de l’armée malienne.
Par contre, ceux qui ont fui en Algérie s’installent à Tamanrasset,
à Reggan, à Adrar : Tamanrasset devient un relais vers la Libye
qui attire de plus en plus les jeunes du Mali et du Niger, grâce
à sa richesse née du pétrole (4).
Le Nord en feu
A nouveau ouvert aux touristes, l’Adrar des Iforas perd son
caractère de massif proscrit : désormais les voyageurs venus du Nord
peuvent visiter une région riche en paysages superbes et en ruines
grandioses. Et pourtant c’est dans la région de Gao, dans les cercles
de Ménaka et de Kidal que la révolte va à nouveau gronder
et cette fois menée par des jeunes hommes sachant se battre en
Toyota, la Kalachnikov à la main, aguerris aux techniques modernes
tout en ayant conservé une connaissance parfaite du terrain.
L’étincelle qui va mettre le feu aux poudres se produit au Niger,
à Tchin Tabaraden, en mai 1990 : attaque d’une gendarmerie et répression
brutale et aveugle par l’armée, bien que le nombre de victimes
n’ait jamais été connu avec précision. A partir de juillet 1990 et après
la mort du chef de poste de Ménaka tué au cours d’un coup de main
mené pour libérer des prisonniers, le pays touareg malien entre en
révolte et l’Adrar des Iforas devient le coeur de la rébellion. L’armée
tente en vain de rétablir l’ordre et de réduire les (( rebelles )) par la
force et de très durs combats se déroulent dans l’Adrar, des postes
administratifs sont pris d’assaut, des convois militaires attaqués, souvent
détruits, des zones <( libérées )) : au cous de l’été 1990 des reporters français, dont Raymond Depardon, peuvent rendre visite au chef de la révolte, Iyad ag Ghali, via l’Algérie, à la grande fureur des autorités maliennes. Devant ces ennemis insaisissables qui connaissent le pays dans ses moindres détails, l’armée apeurée se livre à des massacres dans des campements occupés seulement de femmes, d’enfants et de vieillards, comme pour se venger de son impuissance. Des civils sont fusillés publiquement à Gao, Kidal, Ménaka. Le gouvernement oppose un démenti formel aux accusations de fusillades et de massacres faites par Amnesty International.’ Les autorités, jusqu’à la fin de 1990, traitent les rebelles de Q bandits de grands chemins )), armés par l’étranger, principalement par la Libye. Au cours de négociations, les chefs traditionnels sont les émissaires du gouvernement pour tenter d’arriver à un compromis. Deux positions inconciliables sont en présence : celle d’un Etat dirigé par des militaires qui n’accepte pas que son autorité soit bafouée et une communauté qui réclame de choisir elle-même son avenir dans le domaine économique, social, culturel et qui ne veut plus tout attendre de l’aide humanitaire internationale. En 1991, le gouvernement tempère son intransigeance et, à Tamanrasset, sont signés le 6 janvier N les accords de paix )) qui mettent fin aux hostilités. Les (( bandits de grands chemins )) sont devenus des interlocuteurs officiels et le (<>LE PACTE NATIONAL
Le pacte national a été signé le 11 avril à Bamako entre le gouvernement et
le bureau de coordination des mouvements et fronts unifiés de 1’Azaouad à la suite
de négociations menées à Alger sous la médiation de l’Algérie. Outre le ministre
algérien des Affaires étrangères, deux personnalités ont joué un rôle important dans
ces négociations : MM. Ahmed Baba Miské, mauritanien, directeur des PMA à
l’Unesco, et Edgar Pisani, président de l’Institut du monde arabe et ancien chargé
de mission à 1’Elysée.
Le pacte national est un long document de 86 articles qui détermine les modalités
du cessez-le-feu et organise un statut particulier pour le Nord du Mali.
Après le cessez-le-feu, il sera procédé à l’intégration (( sur une base individuelle,
volontaire et selon les critères de compétence )) combattants de 1’Azaouad dans les
dXérents corps en uniforme de l’État. Des unités spéciales des forces armées (mises
sur pied pour une année) et un corps de sécurité intérieure seront chargées du maintien
de l’ordre. Sont prévus également un allègement substantiel des forces armées
dans le Nord et le rapatriement des personnes déplacées. Une commission de cessezle-
feu, présidée par le médiateur algérien sera chargée de veiller à l’exécution de
l’accord. En outre une commission indépendante d’enquête composée de représentants
des deux parties et d’experts étrangers aura une mission d’investigation sur
les événements et devra évaluer les dommages et réparations dus aux victimes.
Le ‘statut particulier du Nord qui s’appliquera aux 69 7‘ et 8 régions (Tombouctou,
Gao et Kidal), établit ainsi la liste des collectivités locales : régions, communes,
arrondissements et cercles. Chacune de ces collectivités est dotée d’une Assemblée
élue et d’un Exécutif. Un représentant de 1’Etat siégera auprès de chaque région.
En outre est instituée une Assemblée inter-régionale, dotée d’un secrétariat permanent.
Ces Assemblées sont compétentes pour :
- organiser la vie communautaire urbaine et rurale;
- définir et promouvoir les programmes de développement économique, social
- assurer le maintien de l’ordre;
- participer à la sécurité de la région et de la nation;
- organiser les échanges et actions de complémentarité entre les collectivités du
Nord et le reste du pays.
En outre un Fonds de développement et un Fonds d’indemnisation sont créés
et un programme de développement du Nord du Mali sera arrêté pour les 10 ans
à venir.

En dépit de ces difficultés, et grâce à la médiation du gouvernement
algérien, grâce aussi à la mission d’Ahmed Baba Mislré et
E. Pisani, un pacte national a été signé le 11 avril 1992 à Bamako
entre le gouvernement et le bureau de coordinqtion des mouvements
et fronts unifiés de I’Azaouad.
Un grand espoir est né de cet accord et de l’élection à la présidence
de la République d‘Alpha Oumar Konaré : cet espoir cependant
reste suspendu à la ferme application des termes du pacte.
A ce jour, plusieurs attaques et des répressions souvent aveugles
provoquent l’inquiétude. Les représailles de la gendarmerie e? mai
dernier à Gossi - des Touareg responsables des projets de I’Eglise
norvégienne ont été fusillés - font craindre le pire : ces hommes
remarquables, estimés de tous, otages anonymes dont le seul tort
est d’être touareg, disparaissent au moment même où le Mali a
le plus besoin d’eux. La grande interrogation reste de savoir si le
gouvernement pourra maîtriser son armée, parfois avide de revanche,
et si des attaques incontrôlées qu’on attribuera selon les circonstances,
au banditisme ou à une action politique, prendront fin.
Le temps permettra-t-il de cicatriser les plaies et de voir se combler
cette fracture entre le monde arabo-berbère et le monde soudanien
et cesser cette abominable spirale de la violence?
En janvier 1992, au Niger, des postes administratifs et militaires
sont attaqués par des Touareg se réclamant d‘un B Front de
libération de l’Air et de l’Azaouagh D : il y a quelques morts et
des prises d’otages. Le gouvernement, pour la première fois, fait
état d‘une rébellion touarègue. Au Niger comme au Mali des mouvements
s’organisent qui défient l’État : dès lors, l’enchaînement
de coups de main et d’une répression aveugle ne peut que se développer.
Le problème touareg ne peut être abordé que globalement,
mais on peut craindre que les Etats adoptent une politique concertée
de répression un peu comme les polices s’entendent pour
réprimer le banditisme. Il faut, au contraire, chercher en commun
les solutions qui permettent aux Touareg, dans le cadre de chaque
État, d’être de plus en plus associés à la gestion de leur pays.
I' est cependant indispensable de garder constamment à l’esprit
que la société touarègue est en pleine mutation et que ces révoltes
nivellent les hiérarchies sans pour autant les abolir. Les noblesguerriers
ne sont pas forcément à la tête des combattants : de nouvelles
élites se dégagent et, après avoir parcouru le monde, prennent
la tête de ces mouvements de résistance. Comment utiliser,
dans la paix et pour le développement du pays touareg, toutes ces
énergies qui aujourd’hui incarnent la résistance armée ? C’est le pari
qui est en jeu.


(1) E. Bernus, N Les Touareg )), Ethnies,
(2) Les Dahusahak sont de riches éleveurs
de la région de Ménaka, majoritaires chez les
Iwellemmeden kel Ataram, qui parlent une
langue songhay.
(6-7), automne 1987

(3) Ag Bay et R. Bellil, ((Une société Awal, Cahiers d’érudes berbères, 2, 1986,
touarègue en crise : les Kel Adar du Mali D, pp. 49-95.

(4) Cf. H. Claudot-Hawad (sous la. resp.
de), (( Touaregs. Exil et résistance n, Revue
du monde musulman et de la Méditerranée,
Aix-en-Provence, 57, 1990 et A. Bourgeot,
G Identité touarègue : de l’aristocratie à la
révolution n, Etudes rurales, no 120, oct.-déc.
1990, pp. 129-162.


Edmond Bernús
ORSTOM

Suite...

24 déc. 2006



Tombouctou, le 30 mai 1958

Par les chefs coutumiers, les notables et les commerçants de Boucle Niger : TOMBOUCTOU, GAO et GOUNDAME.
A sa majesté Monsieur le Président de La REPUBLIQUE FRANCAISE
À
P A R I S

Monsieur le PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE,

Nous avons l’honneur de vous réitérer très respectueusement notre
Pétition du 30 octobre 1957 en sollicitant votre haute bienveillance une suite très favorable.

Nous avons l’honneur de vous déclarer très sincèrement une fois de plus que
Nous voulons rester toujours français musulmans avec notre cher statut privé.

Nous vous affirmons notre opposition formelle au fait d’être compris dans un système autonome ou fédéraliste d’Afrique noire ou d’Afrique Nord.

Nos intérêts et nos aspirations ne pourraient dans aucun cas valablement défendues tant que nous sommes attachés à un territoire représenté forcement et gouverné par une majorité noire dont l’ethnique, les intérêts et les aspirations ne sont pas mêmes que les notre.

Nous vous assurons que nous ne pourrons sous aucune force soumettre à cette autorité africaine que si ce n’est pas la France nous l’ignorons totalement.

C’est pourquoi nous sollicitons votre haute intervention équitable pour être séparé politiquement et administrativement et le plutôt possible d’avec le Soudan Français pou intégrer notre pays et sa région Boucle du Niger au Sahara français dont faisant partie historiquement sentimentalement et ethniquement.

C’est nos ancêtres sahariens les Touaregs et les Maures Nomades et sédentaires qui ont habité et dominé le Sahara des milliers d’années avant l’Islam.Ce sont les fondateurs des grandes villes sahariens, Ghana, Oudaghost, Immaddadra, Arouan,Tadamecquat ( Essouq de Kidal) Gao (de tademakkat et Gaoua de Haute-Volta) Tombouctou etc.…etc.…

Nous n’étions jamais soumis à aucune autorité d’Afrique Noire ou d’Afrique Nord, C’est nos ancêtres sahariens qui avaient conquis l’Afrique Nord (où ils y avaient fondé Marrakeche) et l’Afrique Noire comme l’histoire écrite l’atteste.

Si Tombouctou a parfois été conquise par africains noires ou blancs, elle n’a jamais restée aux mains des envahisseurs mais libérée toujours par ses fondateurs. Jusqu’au passage des explorateurs européens notamment monsieur René Caillé et ses suivants et jusqu’à l’arrivée française : Tombouctou et ses régions étaient sous la domination de ses fondateurs : les Touaregs et les Maures (Moulethimines de Sanhadja, sonraye-assikya, Armas, Berabiche, Kounta et leurs assimilés dans la même ethnie des Touaregs et Maures nomades et sédentaires.

C’est avec ces Touaregs et Maures que la France avait traité affaires du Pays :
1°) Par l’intermédiaire de Elhaj ABDOUL KADER, Ambassadeur de Tombouctou à Paris, Janvier 1885, dix ans environ avant l’arrivée française.
2°) Avec les chefs Maures et Touaregs après l’arrivée française et non jamais avec les africains noires du Soudan (partie sud du Haut senegal Niger) qui n’existait pas encore à cette date.

Au point de vu historique, étymologique et terminologie : le mot Soudan employé dans les livres chroniques veut dire l’expression BILAD-ESSOUDAN qui signifie pays des noires qui s’applique à toute la partie qui contient africains noires située au sud du Sahara c'est-à-dire au sud de Boucle Niger et jamais dans la langue usuelle le soudan colonie créée et baptisée par les français et dont les limites comprennent les régions sahariennes nord soudanais.Ces dernières régions n’ont jamais été appelées soudanaises qu’après les organisations administratives françaises surtout 1921.

Tout ceci montre clairement le caractère artificiel des frontières de cette partie de l’ AOF. Les lignes de démarcation n’y ont jamais tenu compte des réalités ethniques et économiques.

Tous ces remaniements et divisions administratives qui furent peut être valables il y a vingt ans, sont largement dépasses ici l’heure de l’avion, du téléphone et de Radio et l’heure où la France a octroyé le droit politique à la population de F.O.N. Ces droits sont toujours détenus par une minorité insuffisamment représentative de l’ensemble des populations à cause de la très forte proportion d’abstention d’une part et d’autre part les populations de territoire de Soudan notamment ne forme jamais un ensemble homogène mais composé des populations totalement différentes, sans ethniques, sans coutumes ou traditions communs mais tout les différencie.

Cette minorité politicienne africaine dont les éléments ne sont même pas véritablement citoyens de leur propre pays, en ignorant totalement les cadres traditionnels de la vie africaine,a porté par la politique des parties à la population des graves atteintes ; désocialisation dans les familles, une complète incompréhension dans les villages, cantons et tribus, des lourdes charges aux contribuables, des profondes mépris à l’egart des français musulmans traditionnels et particulièrement les Touaregs et leurs assimilés, les Maures et enfin jusqu’à…

Jusqu’à songer la séparation d’avec notre patrie la France au contraire aux aspirations de la majorité des populations autochtones qui tiennent à rester partie intégrale de la Nation Française avec leur statut personnel.

Avant cette nouvelle reforme, les ordres qui viennent de Saint-Louis, Dakar, Kayes, Niamey et Koulouba ne sont considérés par nous comme émanant d’une autorité proprement soudanaise, mais comme émanant de la France elle-même. Donc il a été nécessaire (et jusqu’à présent il n’est pas encore trop tard) avant d’appliquer la loi cadre de réorganiser les territoires de l’Afrique Française afin que les groupes de chaque population de mêmes intérêts, mêmes coutumes et mêmes traditions se retrouvent ensemble et non séparés comme actuellement.

Pour cette solution juste que nous insistons d’appeler votre haute autorité sur laquelle nous comptons toujours pour que la France établisse un barrage infranchissable entre notre pays et nos voisins d’Afrique Noire et d’Afrique du Nord dont chacun d’eux depuis quelque temps considère indûment notre pays comme le sien par revendication et prétentions fillacieuses, injustifiées, sans valeur, ni fondement.

En conséquence, nous attirons très respectueusement votre attention bienveillante sur les conséquences, si la France ne prend pas d’urgence une mesure favorable et juste dans l’intérêt de tous :
Ou bien des troubles locaux regrettables surviendront,
Ou bien il y aura des émigrations vers le Nord ou vers le moyen Orient.


En attendant une suite favorable nous avons l’honneur de vous exprimer une fois de plus notre serment de fidélité des Français musulmans, notre vive gratitude et nous vous serions très obligés d’agréer Monsieur le Président de la République l’expression de notre très haute considération et profonde respect.

VIVE LA FRANCE, VIVE TOMBOUCTOU SAHARA FRANÇAIS.

Rédigé à Tombouctou le 30 mai 1958 avec la demande des soussignés par Mohamed Mahmoud Ould Cheikh cadi de Tombouctou.

LES SIGNATAIRES

Suite...

22 déc. 2006

Sortie de crise


Ca fait des années qu’une pluie de financements inonderait notre pays et souvent spécialement pour son septentrion. Pas plus loin que le mois passé le Président de la République a ramené plus de 650 milliards d’une mission des USA et de l’Union Européenne .Et depuis que la rébellion a éclaté en 1990 des centaines de milliards de nos francs ont été donnés pour l’amélioration des conditions humaines afin d’aller vers une stabilité de la zone du Nord et rien ne surgit à l'horizon et rien ne semble s'y dessiner. Nous le disons car nous savons qu’une fois encore seules la poussière et quelques maigres miettes parviendront au-delà du fleuve Niger alors qu’une pluie de dollars, euros ou autres s’abat sur Bamako pour réduire la fracture malienne Nord/Sud.
Partant de là, nous de l’Alliance Démocratique du 23 mai pour le Changement, porteurs de message sommes très mal compris et nous sommes considérés comme des "bandits" avides, de dangereux "séparatistes". Souvent sur des fausses accusations sans aucune preuve comme des "pilleurs" ataviques tantôt des caisses de l’Etat, tantôt rançonnant d’innocents voyageurs. Que ne raconte-t-on pas sur le Septentrion malien comme juste pour nous dénigrer et masquer l’hospitalité particulière et inédite de notre culture?!......
A côté de ces postulats malavisés fondés sur l’ignorance, la réalité des maux du grand Nord est peu montrée. C’est loin des centres. Qu’on ne s’étonne alors pas d’être classés parmi les tout derniers au monde en matière de développement humain ! Au Nord, la santé, l’éducation, l’économie restent bien en dessous des moyennes nationales. Où donc sont passés les agents, les chiffres et les réalisations présentés aux bailleurs dans certaines statistiques ? Combien de générations encore n’auront pas connu le moindre mètre de goudron à des centaines de kilomètres à la ronde, ni le moindre hôpital ? Si, par la Grâce d’Allah, un enfant survit à sa naissance et à ses premières années, que peut-il devenir ? Probablement un analphabète dans sa propre langue alors qu’elle fut la première écrite en terre africaine. Ensuite, au lycée de Kidal, le seul pour 260 000 km², il n’y a toujours que 2 des 4 sections prévues malgré les milliards du PRODEC et des bailleurs de fonds, pas de Sciences Exactes ni de LL (français anglais) et pourtant officiellement créé depuis 1997.Raison officielle manque d’enseignants et cela malgré l’appui du PAMOF (Programme d’aide à la formation des maîtres financé par le Canada à coût des milliards). Ce sont des compétences que nous perdons. Elles vont nous manquer comme si c’est fait sciemment. Et les éleveurs, ces piliers de notre économie, jusqu’à quand seront-ils vraiment pris au sérieux par les autorités ? Quand on sait les ressources que peut générer cette activité pourtant citée dans toutes les brochures relatant ou justifiant notre économie.
Assez de Maliens mis à l’écart ! Le progrès doit être commun et bénéficier aussi et surtout aux plus défavorisés. Qu’on ne s’y trompe pas, qu’une partie du Mali soit vitrine de la modernité et qu’une autre soit indexée de Mali inutile ne saura jamais soigner nos maux.Ca ne saurait que creuser l’inégalité sociale. Le nécessaire élan de rattrapage en développement doit être impulsé dans tous les cercles et atteindre aussi les villages et les campements. Il faut que la misère recule chez les déshérités de notre grand Nord du Mali. Le seuil de la pauvreté fixé par les experts de la Banque Mondiale à 100US $ de revenu annuel est un revenu de bourgeois dans nos communes du Nord. C’est une situation qui ne doit plus être quand le Mali reçoit des milliards pour s’être lancer dans une lutte acharnée contre la pauvreté De même, un éleveur père de famille ne doit plus pouvoir mourir de soif comme encore en juillet 2006, dans l’indifférence totale des pouvoirs publics et des médias.
Avec le sentiment d’abandon né de la misère, de l’éloignement et de ces faiblesses en infrastructures, avec aussi le poids de l’Histoire, le doute est là. Il est à l’intérieur des têtes, de part et d’autre des différentes lignes de fracture. Sommes-nous des Maliens à part entière ? Que veulent-ils tous ces pouvoirs qui se sont succédé ? Mais nous l’avons déjà dit et nous le redisons : il est temps d’avancer. « Sortir de l’extrême sous-développement et du cycle des crises à répétition est une urgence » Il faut pour cela produire des avancées significatives et passer à la suite de l’application de l’Accord historique conclu à Alger.
Grâce à Dieu, nous avons un homme dont tout le monde chante sa sagesse à la tête de l’Etat. C’est un président responsable qui a su faire la part des choses et nous rendons hommage à sa sagacité et son sang-froid, ainsi qu’à son esprit de paix. Il a compris les causes réelles de notre malaise et entendu le message et l’appel au secours lancé depuis un certain 23Mai 2006 au nom des peuples du Septentrion malien.En conséquence, il a promis de faire de la route Gao-Kidal son objectif n°1. Nous le croyons. Nous avons hâte de voir. Nous sommes bien conscients que le goudron ne va pas apparaître comme par enchantement et que le Mali doit d’abord boucler tous les financements.. Les engagements doivent être tenus. Le développement doit couler sans rébellion et sans que du sang ne coule.
Pour notre part, nous avons donné des gages et toujours adopté une attitude responsable. Nous sommes engagés dans la négociation, que nous avons toujours privilégiée. Si besoin en était, nous venons de prouver au monde que nous n’étions pas connectés au GSPC, comme nous l’avion déjà maintes fois signalé. Nous avons aussi prouvé notre préoccupation pour la tranquillité et la sécurité des habitants hors des zones urbaines, ainsi que notre efficacité lors de l’interception et arrestation des voyous en bande organisée dans notre zone.
Nous ne sommes pas "des diables". Nous ne demandons pas "la lune". Et nous ne voulons pas non plus causer du tort au Grand Mali car c’est notre pays. Mais assez d’être des Maliens de seconde zone ! L’essence de notre révolte n’est pas à aller chercher ailleurs.
Nous sommes des frères. Et des individus responsables. Si nous en sommes venus à prendre les armes, c’est bien par manque d’écoute et de considération. C’est bien parce que nous sommes indépendants depuis 46ans et restons sans un mètre linéaire de goudron sans un hôpital. Les problèmes ne sont pas inventés. On peut toujours étouffer la vérité sous une couverture en donnant à cela le nom de pudeur, on peut la voiler derrière un épais tissu fait de mensonges et préjugés, mais sa présence demeure. Et se fera sentir. La misère est criante dans les régions de l’Azawad. Il faut trouver les moyens pour y remédier.
A un moment donné, l’Etat a su s’endetter pour les agriculteurs du Sud et les accompagner vers un enrichissement potentiel et une hausse de la qualité et de la promotion de leur production. Nos éleveurs dans ces zones arides ne méritent-ils pas un peu plus d’attention qu’aujourd’hui alors qu’ils sont, et de loin, la plus grosse part de la population ? Cheptels, viande, lait, peaux ne valent-ils que mépris ? Alors on détourne les yeux ou les fonds…..IL FAUT QUE CELA CESSE!. Nous le disons pour la dignité des nôtres comme nous le disons pour le bien du pays. Le bien du pays ne nous est pas étranger. Au Mali, nous pouvons apporter le meilleur de nous-mêmes et positiver sa richesse, mais il ne doit plus nous laisser sur la touche, nous loin des centres et déjà défavorisés par la nature. Il est temps de nous reconnaître comme des Maliens à part entière, avec les mêmes droits à la dignité.

Envoyé Par Azawad-union

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18 déc. 2006

Réflexion d'un cadre touareg


membre du bureau exécutif du F. P. L. A. (Front Populaire de Libération de l’Azawad) officier de réserve des M. F. U. A. (Mouvements et Fronts Unifiés de l’Azawad)
Genèse de la révolte touarègue au Mali.

La révolte touarègue au Mali n’a résulté d’aucune manipulation comme veulent souvent le faire entendre les autorités de Bamako. Elle est l’oeuvre de jeunes Touaregs qui, par manque de perspectives d’avenir, se sont retrouvés contraints d’aller dans d’autres pays pour se spécialiser dans certains métiers. Il est connu de tous que les Touaregs n’ont jamais été considérés comme des citoyens maliens ordinaires. On les a toujours traités comme des étrangers qui ne sont que tolérés sur le sol malien. Certains étrangers, venant des pays voisins sont mieux traités que nous. De nos jours, "l’homme bleu" a le plein droit de crier fort pour déchirer le silence. Le vent des indépendances a soufflé, toutes les pages ont tourné. Il en reste une, très lourde. Seul un vent venant du désert peut la tourner. Le vent de la démocratie a soufflé, il n’est venu qu’avec la haine, la trahison, l’ingratitude, la méfiance. Après s’être bien assurés qu’aujourd’hui rien ne peut arrêter la roue de l’histoire, les jeunes Touaregs, nombreux et très efficaces dans les divers métiers exercés à l’extérieur, ont senti le besoin de s’unir pour sortir l’Azawad de la misère. Il n’est caché à personne que le Mali n’a rien réalisé dans sa partie septentrionale. Certains responsables maliens appellent cette partie du pays le "Mali inutile".
La politique du Mali vis à vis des M. F. U. A.
Le 11 avril 1992, le Mali a fait appel à ses "fils égarés". Ils ont répondu et signé un accord. L’opinion internationale était témoin. Que remarque-t-on lorsqu’il s’agit de commencer son application ? Le Mali a choisi ce moment pour former des milliers de soldats anti-guérillas et a soigneusement voilé ses brigades d’autodéfense pour commencer à les utiliser en avril 1994, afin de déstabiliser le chapitre "intégration" du Pacte national.
Les Touaregs, citoyens maliens dans le passé
Le Touareg a toujours partagé avec ses frères songhaï, bambara, sarakollé, peul, malinké, bobo, dogon, senoufo, kasonké et arabe, les souffrances précoloniales. Pourquoi le marginalise-t-on après les indépendances ? Comme le disent dans leurs discours certains "chercheurs de places", c’est sa diversité qui fait du Mali un pays fort. Il ne suffit pas de le chanter, il faut mettre les citoyens sur un pied d’égalité devant la justice et le droit au travail. Hélas, au Mali, on ne pense à la population touarègue que lorsqu’il s’agit de chercher des aides extérieures. On présente le désert avec ses sécheresses, ses vents de sables, ses tentes en chiffons, ses cadavres d’animaux et ses misérables populations pour dire que "ça ne va pas au Mali". S’il y a des aides, des projets ou des financements de quelque nature que ce soit, les autorités entretiennent le "Mali utile" avec les fonds, et on envoie au Nord quelques tonnes de sorgho (don de l’USAID, etc.). De grâce, il est temps que s’arrête cette comédie.
Mali : le double langage
Les autorités maliennes demandent à l’armée d’assumer sa mission. Elle l’assume en pillant des campements touaregs entiers et elle publie des communiqués du genre : "des milliers de rebelles ont été tués par les braves forces armées".
Une chose est sûre : le Mali est plus que jamais décidé à exterminer les Touaregs. Pour bien cacher ses intentions, le gouvernement invoque l’indiscipline de son armée. Mais il faut que la troisième République sache qu’elle est condamnée à gérer plus sagement ce problème car même si elle arrivait à exterminer le peuple de l’Azawad, le désert, fidèle au cri de ses fils, les vengera. Après nous, aucune âme n’osera exister sur notre sable. Tant que nous vivrons, nous animerons ce désir de fleurir le désert, de le débarrasser de ses vents chauds, sa solitude, la stérilité de son sol, car c’est à nous qu’il le réclame. Chaque vent chaud qui y souffle est un message pour nous. Chaque tambour qui y résonne est un reproche et chaque coup de feu que nous laisserons entendre est une revendication auprès du Mali.


Quel avenir pour les Touaregs?
Aujourd’hui, dans un contexte international difficile, le Peuple touareg s’interroge sur son devenir. Il est à la recherche d’une solution qui lui permette de surmonter les mutations de la société, de retrouver sa dignité et d’assurer son existence. En tant que communauté linguistique et culturelle, le Peuple touareg demande que lui soit reconnu le droit de vivre sur son territoire et de gérer son propre développement...


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7 déc. 2006

Le peuple Touareg

Les Touaregs population nomade vivant dans le Sahara central et ses rives sahéliennes, sont actuellement répartis entre cinq Etats africains nés dans les années 1960 : l'Algerie, la Libye, le Niger, le Mali & le Burkina Faso.Leur langue est le Tamajaq ou Tamasheq ou encore Tamahaq selon les régions. Ils utilisent un alphabet appelée tifinagh ou tifinar.Les Touaregs sont parfois appelés les « hommes bleus », d'après la couleur de leur vêtement.
Parce qu'ils réclamaient le droit à l'existence de leur communauté dans la dignité, les Touaregs ont vu leur rôle fustigé et interprété de manière réductrice comme l'ultime soubresaut du monde des coutumes opposé au monde des lois, de la tradition contre la raison, des intérêts particuliers contre les droits universels, de l'ethnie contre l'Etat.Les droits des peuples sont-ils vraiment incompatibles avec les droits de l'homme, comme tend à le faire croire la vision étroite du jacobinisme, niant toute communauté hors l'Etat ou la stigmatisant comme formation sociale rétrograde et archaïque ? La paix sociale ne peut-elle exister en conciliant les deux exigences ? La démocratie saurait-elle sans se renier elle-même évacuer la demande de reconnaissance identitaire comme "perception que les gens ont d'eux-mêmes et des caractéristiques qui les définissent comme êtres humains.

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5 déc. 2006

L'histoire de la rébellion touarègue

Les causes de la rébellion

NIGER - 1990, Tchin Tabaraden

Tchin Tabaraden est un village du désert Nigérien, qui avait déjà subi quelques tensions en 1985 avec l'intervention d'un commando armé.
Le 7 mai 1990, de jeunes Touaregs décidèrent d'organiser l'évasion de leurs amis ishomars emprisonnés à la prison de Tchin Tabaraden. Ceux-ci furent probablement emprisonnés à la suite de protestations.Mais la confrontation avec les gardiens, militaires Nigériens tourna mal et l'un (deux?) d´entre eux fut tué. Les assaillants repartirent avec des armes volées. Craignant une sévère réaction des autorités, les Touaregs paniqués fuirent. Ils ne furent jamais retrouvés.
Les militaires Nigériens affirmeront par la suite que l'attaque n'était pas aussi innocente qu'elle le paraissait : qu'elle avait engagée trois groupes armés qui avaient assassiné des gardes forestiers aux alentours de Timia, à cinquante kilomètres de Tchin Tabaraden...
La nouvelle de cet incident courut très vite dans les grandes villes du Niger, ce qui entraîna la mobilisation de centaines de soldats de l'armée sur les lieux de l'incident - sans même qu'ils eurent été précisément au courant des évènements de la prison - avec l'ordre de fouiller toute la région. Les soldats zélés ont arrêté et tué de nombreux Touaregs dans toute la région. C'est là un des évènements les plus tragiques de l'histoire touarègue, et l´amorce d´une longue guerre civile. Beaucoup d'entre eux ont déjà fui vers le Mali.
Le bilan de cet évènement est incertain... "le gouvernement avoue 63 morts, la Conférence Nationale (voir chapitre suivant) révèlera 19 décès et 50 morts après torture ou représailles. Un agent français des renseignements, Claude Silberzahn, rapporte la mort de 31 personnes à la suite d'un assaut, et une soixantaine de morts à la suite d'une répression. Un journal français avance 400 victimes, des ONG 700 et la propagande de la rébellion jusqu'à 1500 victimes*"
MALI - 1990, Menaka
Depuis l'indépendance jusqu'en 1990, les Touaregs du Mali n'ont jamais été intégré à la vie institutionnelle. D'ailleurs de nombreux Maliens considéraient encore les Touaregs comme des étrangers.
En 1990, le gouvernement est dirigé par Moussa Traore, sous forme d'un régime à parti unique. Celui-ci entretient des contacts avec le président Nigérien et organise l´arrestation des rebelles réfugiés, dans le but de préserver son pays de la crise. Les rebelles capturés furent emprisonné à la prison de Menaka au nord du Mali.
Le 29 juin 1990, le poste de gendarmerie et la prison de Menaka sont violemment attaqués par des Touaregs.
Cette date signe l´engagement du Mali dans la crise, puisque des prisonniers seront libérés et des armes volées. L'armée compte des victimes et s'engage à la poursuite des attaquants, dans tout l'Adrar, ils ne parviendront pas à les capturer, au contraire, les forces armées perdront d'autres hommes lors d'accrochages et, dépités, finiront par se venger sur les civils.
Au Niger comme au Mali, la crise est lancée de façon brutale, les attaques touarègues conduisent à des réactions musclées des armées respectives des deux pays qui ne feront pas de cadeaux aux habitants du nord.

Les conférences nationales
Après l'incident de Tchin Tabaraden, en 1990, la question touarègue dans le sud saharien devient un point critique pour l'équilibre de toute la région.
NIGER - 1991, annonce d´une solution
De nombreuses atrocités succèdent aux incident de 1990, avec pour crime originel l'appartenance à l'ethnie Touarègue.
Le gouvernement Nigérien a décidé de tenir une conférence nationale au regard de la situation (1991 - 1992).
Les Touaregs participaient à cette conférence, qui devait mener à d'intéressants débats : le fait que certaines arrestations et exactions auraient été réalisées sans le consentement des chefs militaires (incident d'Agadez, Août 1992), à noter également une confrontation avec les officiers de l'armée Nigérienne, qui décident qu'il faut définir clairement les objectifs contre les rebelles et le besoin de les maîtriser.
Pendant ce temps, le gouvernement encourageait la création de milices de défense dans le nord du pays, en effet, les tribus arabes qui partagent le territoire avec les Touaregs se retrouvent au coeur des tensions. Elles s'organisent alors, notemment en un mouvement, le CVT, qui veillera jusqu'en 1994.
MALI - 1991, répression
Le mouvement Touareg au Mali a été sévèrement réprimé par l'armée Malienne, les soldats pourtant ne paraissaient pas agir sous couvert du gouvernement.
Le gouvernement utilisa tenta de convaincre les tribus voisines des Touaregs de se liguer contre eux, en arguant que les Touaregs du nord représentaient un grand danger pour l'équilibre du nord du pays. Certaines, à l'image des Kuntas prendront le parti de la rébellion et combattront à leur côté, d'autres rejoindront les milices d'autodéfense à l'image des tribus du Niger.
Un autre combat diplomatique consista à essayer d'obtenir obtenir l'agrément de l'opinion internationale incarnée par l'organisation non gouvernementale Amnesty International.
L'année commença pourtant par des pourparlers de paix entre les deux factions rivales. Les discussions étaient arbitrées par l´Algérie, qui était concernée par les quelques 150.000 réfugiés vivant au sud du pays principalement à Tamanrasset et Janet. Ces pourparlers aboutirent à la signature d'un pacte de paix en 1991.
Mais parce qu'il avait sans doute été signé un peu précipitamment, cette bonne intention ne perdura pas longtemps, le gouvernement préférant probablement un règlement définitif par la voie militaire.
Le 20 mai 1991 à Léré dans la région de Tombouctou, les militaires Maliens ont massacré des dizaines de Touaregs et de Maures sur la place publique. Les familles des victimes ont été enlevées et retenues en otage pendant près d'un an.

La montée de la colère
NIGER - 1992, déception
Les conférences nationales touchent à leur fin. Les conséquences des conférences sont inattendues. Les soldats auteurs des atrocités n'ont pas été condamnés ou réprimandés. De même qu'aucune mesure n'a été prise pour juger ces criminels.
Un groupe politique : l'Union pour le Développement et le Progrès Social (UDPS) qui a une certaine présence dans les régions du Nord, a proposé de résoudre le conflit en fédérant le pays, c'est à dire en attribuant une quasi-autonomie aux région du nord. D'après eux ceci aurait pu résoudre une partie du conflit. La proposition a été rejetée durant la conférence.
L'échec de cette réunion a réuni les jeunes Touaregs contre le gouvernement, qui à vrai dire n'en attendaient pas grand chose et avaient déjà organisé la suite armée des évènements.Une des réponse des Touaregs fut la création du Front de Libération de l'Azawad.
Le nord du pays fut alors décrété zone de sécurité, et l'information devait désormais circuler avec beaucoup plus de difficultés depuis cette zone.
Durant le mois d'août suivant, 180 Touaregs présumés appartenant à la rébellion furent capturés, certains exécutés sans jugement légal. L'action du gouvernement devait bientôt, comme au Mali, trouver l'appui des populations voisines des Touaregs, ligués contre cet ennemi commun, dans une guerre civile interethnique naissante.
MALI - 1992, courte trève
En 1992, après l'épisode tragique de Léré, un pacte national entre Touaregs et Maliens fut signé. Les revendications des Touaregs ressemblaient beaucoup à celles formulées par les Nations Unies par l'intermédiaire de son Groupe de Travail sur les Peuples Indigènes (UN Working group for Indigenous Peoples)
La signature de ce pacte a permis l'instauration d'une période de trêve. Le gouvernement Malien semble disposé à quelques consentements : régler les conditions de l'administration de la zone des trois régions au nord du Mali; une démilitarisation au nord également, et l'intégration de 2400 Touaregs dans l'armée Malienne. Il promit également de réfléchir à l'intégration de Touaregs dans la vie économique et politique.
Mais d'autres exactions eurent lieu, en parfait désaccord avec les promesses du gouvernement : 12 mort parmi des volontaires de l'"assistance de l'église Norvégienne" de Gossi en mai 1992. Durant ce même mois de mai, 48 fermiers ont été tués près d'un puit près de la frontière Mauritanienne de Foïta.
Ces évènements augmentèrent encore le nombre de réfugiés de plusieurs centaines de milliers, en Mauritanie, en Algérie et au Burkina-faso. Ces départs firent figure de génocides dans les villes du nord du Mali, totalement purgées de leur populations touarègues.
En 1992 eut lieu l'élection d'Alpha Oumar Kounare, à la tête d'un gouvernement civil.

L'organisation des mouvements touaregs
NIGER - 1993, désunions
L´année commence par un nouveau conflit : les milices nigériennes poursuivent des rebelles jusqu´à 400 KM à l´intérieur du territoire Malien et tuent 36 civils Touaregs et Maures.En 1993, les Touaregs en réponse aux actes du gouvernement prirent des centaines d'otages civils pour la plupart.
Et de mars 1993 à juin, une courte trêve conduit à un échange de prisonniers entre les deux camps. Ce cessez-le-feu devait ce prolonger pour trois mois encore.
En septembre, le FLAA s'est scindé en plusieurs petits mouvements. Certains d'entre eux avec pour objectif d'obtenir un accord de paix à tout prix, d'autre mouvements se sont attachés à combattre violemment le gouvernement Malien.
Ces derniers, plus ou moins assimilés à des bandits attaquent alors camions, convois - civils ou militaires - pour démontrer sa faiblesse et son incapacité à résoudre les problème de son pays.
Là encore les représailles gouvernementales se sont avérées dramatiques.
MALI - 1993, dérapages
Au nord du Mali, il y eut une grave action à l'encontre de civils par les rebelles Touaregs et Maures pendant les mois de juin, juillet et août.
Là encore, le gouvernement joua finement la carte du conflit inter-éthnique en mobilisant contre les Touaregs les tribus du nord, essentiellement les Songhaïs, premières victimes de la colère touarègue.
Ajouté à l'action militaire, les représailles firent quelque 300 morts et encore environ 100.000 réfugiés en Algérie, au Burkina Faso et en Mauritanie.
Les nouveaux médiateurs
NIGER - 1994, nouvelles négociations avortées
En février 1994, le gouvernement du Niger organise de nouveaux pourparlers avec toutes les factions touarègues.
Des pays qui jusque là s´étaient tenus à l´écart reviennent participer en tant que médiateurs : les colonisateurs historiques que sont les français, le pays d´accueil de très nombreux réfugiés qu´est le Burkina-Faso et l´historique médiateur l´Algérie.Malgré quelques différents politiques opposant Français et Algériens, les deux pays se concertent pour trouver une solution rapide à l´instabilité du pays.C´est également là que se profile un nouvel espoir, renforcé par une deuxième rencontre à Paris en Juin 1994.
Mais encore une fois les négociations ne mènent à rien. Même s´il subsiste un désir de poursuivre ces efforts dans une prochaine réunion en Algérie.
En Septembre 1994, un nouvel évènement tragique se produit lors d´un festival culturel Tuareg dans la ville d´Agadez. Des personnes non-identifiées ont fait irruption dans la foule en jetant des grenades : cette nouvelle agression fera 6 morts et blessera nombre de femmes et d´enfants.À cette action s´ajoute la passivité du gouvernent qui ne s´empresse pas de répondre au manque de structures sanitaires et de soins en facilitant de transport des victimes vers l´hôpital d´Arlit.
Il faudra même attendre l´arrivée des "French-Doctors" de l´organisation Médecins du Monde pour les premières mesures sanitaires soient prises.
À la fin du mois de septembre, un meeting technique est organisé á Ouagadougou pour décider du calendrier des prochaines rencontres. Il y eut ici une heureuse surprise sous la forme d´un nouvel accord de paix entre les mouvements de résistance touarègues et le gouvernement du Niger.
MALI - 1994, l'apogée de la violence
La répression contre les actions de banditismes maures et touarègues dans le nord du pays connaît une issue tragique le 21 Avril 1994 à Menaka, qui se solde par la mort de 4 homme la mutilation de 12 autres.Encore une fois le gouvernement militaire Malien fait preuve de laxisme contre les malfaiteurs en encourant aucune action sévère : les soldats inculpés sont simplement mutés vers d´autres camps.D´autant que les massacres ne s´arrêtent pas : en Juin et Juillet 1994, 50 hommes Touaregs et Maures sont tués. Parmi eux, une personnalité : le directeur du centre d´études Islamiques et de Documentation de Tombouctou.
Les Touaregs répondent brutalement le 25 juillet en exécutant des civils dans la ville de Bamba. De 40 à 100 selon les sources.
Le bilan de cet été meurtrier est conséquent : un millier de morts dans les deux camps, civils, rebelles et militaires.
Le 4 Octobre 1994 le gouvernement Malien est inquiet lorsqu´une patrouille de 4 hommes assassine le consul de Suisse, ainsi que certains de ses collaborateurs Touaregs.Une mission d´enquête gouvernementale a déterminé que cette action était injustifiée. Cependant le gouvernement ne parvint pas à identifier clairement les auteurs et abandonne l´enquête faute de résultats. Il finit quand même par reconnaître en Décembre de cette année la culpabilité de militaires.
Deux semaines plus tard, le 20 Octobre un important groupe de rebelles armés (supposés du FIAA) attaque la ville d´Asonguo au sud-est. 6 personnes sont tuées, dont des civils. L´action visait la tête du détachement militaire de l´armée Malienne présent dans cette région : certains de ses membres y trouvent aussi la mort.L´action rebelle s´amplifie 2 jours plus tard le 22 Octobre, en espérant provoquer des dégâts matériels. 14 civils y perdent la vie et 17 autres sont blessés.
Des représailles disproportionnées eurent lieu, signées par des membres d´un mouvement populaire, le Ganda Koy, qui décima un camp entier faisant entre 60 et 300 victimes. Dans le même temps, l´armée Malienne face à ce regain de violence redéploie des forces importantes dans le nord du pays et reprend une vague d´exactions contre les populations nomades.
Cette année là encore, le conflit apparaît insolvable : avec une alternance de tensions et de périodes de paix. Le pays était pourtant encore sous le coup des accords des conférences nationales et la présence militaire dans le nord du Mali devait progressivement s´atténuer.
Paix (?)
La fin de l´année 1994 a été marquée par une violence accrue.Le conflit a souvent tourné aux règlement de comptes, notamment entre le Ganda Koy et le FIAA au Mali.
Il fallait donc revenir aux objectifs premier : la réclamation légitime d´un statut de citoyen au Mali et au Niger pour les Touaregs. En 1993 et 1994, la scission du FLAA en trois factions distinctes à propulsé à la tête de la rébellion de nouveaux chefs.
Ils ne sont pas tous toujours reconnus comme étant les vrais meneurs du peuple Touareg, mais ils apportent une volonté nouvelle de diplomatie avec les gouvernements. En tout cas, cette année la volonté de clore enfin ce conflit est très forte.
NIGER - 1995, consolider la paix
Le contexte politique n´est pourtant pas très favorable puisqu´au Niger en janvier, le président Mahamane Ousmane est contraint de nommer un premier ministre hostile aux Touaregs.
En avril 1995, sera signé un accord de paix entre l´ORA et le gouvernement du Niger qui débouchera en juin 1995 sur l´amnistie des actes commis par la rébellion. Cet accord mentionne que désormais, les régions du nord où les Touaregs sont majoritaires auront une autonomie partielle . De plus il serait considéré l´intégration dans la vie sociale et militaire au Niger des combattants : c´est à dire leur participation dans la police, l´armée et le service civil.
Malgré tout, ce pacte ne sera pas signé par certains groupes comme le Front de Libération Temoust (FLT) de Mano Dayak (visualiser ce pacte )
Des heurts subsistent au cours de l´année au nord du pays entre l´ORA (qui réunit plusieurs groupe rebelles) et des milices Arabes. Une certaine tension était en effet perceptible entre les populations Arabes et Touarègues, les premières accusant les secondes de violences sur les populations.
De plus les relations sont parfois tendues entre l´ORA de Rhissa Boula et la CRA de Mano Dayak et remettent constamment en cause la stabilité de la paix. Pourtant cette fois-ci, l´état de paix semble plus solide : résultat probable de l´accord de paix de fin septembre 1994 et de sa consolidation par l´accord signé en Avril.
En décembre 1995, Mano Dayak (CRA) meurt tragiquement dans un accident d´avion avec deux de ses lieutenants. La nouvelle attriste de nombreux Touaregs quelque soit leur mouvance, parce qu´il était médiatique - surtout en France - et oeuvrait pour l´union des Touaregs.
MALI - 1995, apaisement et diplomatie
La lutte entre le Ganda Koy et le FIAA se poursuit au début de l´année. Elle se traduit par des actes du Ganda Koy sur des personnes isolées (Un instituteur Touareg exécuté à Asonguo, des éleveurs rançonnés puis jetés dans un fleuve pieds et poings liés, deux commerçants arabes tués par balle a Asonguo par le lieutenant Diallo appartenant à l´armée Malienne et au Ganda Koy, deux éleveurs Peulh abattus dans la région de Menaka…)
Son action heureusement va en s´atténuant jusqu´à la date du 13 juillet 1995, où se tint à Tombouctou une conférence internationale sur le développement.
Le retour au calme qui suit cette conférence voit également le retour de nombreux réfugiés de Mauritanie et d´Algérie. Même si ce retour au pays paraît un peu improvisé, le processus de paix semble s´enclencher au Mali.À partir de septembre, les combattants Touaregs s´engagent dans les cantonnements de l´armée Malienne qui précèdent leur enrôlement dans les services armés du Mali. Ils y vont souvent par dépit, n´ayant pas envisagé d´autres orientations. Beaucoup de représentants du MPA et quelques uns de l´ARLA notamment s´y retrouvent, parfois pour le seul fait de retourner dans leurs régions d´origine. Les combattants du FIAA sont plutôt commerçants à l´origine et préfèrent retourner à leur occupation. La cohabitation avec les militaires maliens et du Ganda Koy - qui bénéficient aussi de cette réinsertion - anciens ennemis, reste cependant très difficile à mettre en œuvre.

Suite...

L'argument du particularisme touareg

Dès le début des incidents, le "particularisme" touareg, malgré un dépérissement prédit depuis l'occupation coloniale, va redevenir un thème à la mode et se trouver systématiquement opposé, par les commentateurs, à l'universalisme républicain qu'incarneraient les Etats issus des anciennes colonies françaises. Devenue une clef privilégiée pour expliquer les événements violents qui se sont succédé, "l'exception touarègue" est formulée à l'aide d'arguments empruntés à des registres conceptuels variés allant du domaine politique à des "réalités" sociales, psychologiques, économiques, raciales Le traitement polémique et raciste de la question de cette minorité encombrante au sein des différents Etats enflamme la presse et atteint des extrémités verbales difficilement soutenables.
Si, pour les insurgés, l'injustice est la cause du soulèvement, les Etats préfèrent ne voir dans ces événements que la manifestation de l'anarchie et du désordre qui seraient le propre du caractère nomade. Cette réduction essentialiste des faits (ramenés à une crise psychologique sans fondement) dévoile la position d'incompréhension et de refus de dialogue des autorités. Sur le plan politique, l'idée que les Touaregs ­ loin de former une communauté ou un peuple ­ ne sont que des tribus disparates et sans relations entre elles devient l'argument central des gouvernements pour disqualifier les revendications autonomistes et fédéralistes exprimées par les fronts armés. Cette négation du mal-être touareg est pourtant contredite par la pratique même des Etats saharo-sahéliens, qui depuis leur avènement, se sont montrés particulièrement soucieux d'enclore leurs minorités respectives dans la nouvelle logique territoriale qui s'avère exclusive et différentielle. En témoignent les multiples mesures prises dans les différents pays pour interrompre la circulation des hommes et des biens au sein de l'espace habité par les Touaregs et partagé, dans les années 1960, entre les territoires de la Libye, de l'Algérie, du Niger, du Mali et de l'ancienne Haute-Volta devenue aujourd'hui Burkina Faso.
De fait, les Touaregs représentent un cas que le modèle de l'Etat-nation-territoire a beaucoup de difficultés à gérer. D'une part, en manifestant leur sentiment d'appartenance à une communauté particulière, définie par des traits spécifiques, ils soulèvent le problème de la nation dans la nation, de la communauté intermédiaire entre les individus et le pouvoir central. D'autre part, cette identité collective se double d'un mode de vie nomade qui se déploie sur une territorialité transfrontalière définie par des critères précis. Enfin, ce territoire est revendiqué non seulement comme lieu d'appartenance, mais aussi dans le but de lui restituer son rôle de trait d'union entre les rives nord et sud du Sahara et de ne plus le cantonner, comme c'est le cas actuellement, dans des fonctions d'enfermement, de séparation et d'isolement.
Autrement dit, les Touaregs, par leur existence même, offrent un contre-exemple parfait à la légitimité des Etats conçus comme des entités closes, homogènes et exclusives les unes des autres. Ils incarnent à ce titre la transgression de l'ordre en place qui, figé dans sa logique centralisatrice, n'a finalement qu'un intérêt : les voir disparaître, que ce soit politiquement, culturellement ou physiquement.
Du côté des universitaires, la thèse de l'"invention de l'ethnie" va rejoindre à point nommé la position tranchée des représentants du pouvoir politique qui, en appliquant à la lettre les dogmes hérités de la Révolution française, refusent catégoriquement toute forme et toute expression de communautarisme.
Parce qu'ils réclamaient le droit à l'existence de leur communauté dans la dignité, les Touaregs ont vu leur rôle fustigé et interprété de manière réductrice comme l'ultime soubresaut du monde des coutumes opposé au monde des lois, de la tradition contre la raison, des intérêts particuliers contre les droits universels, de l'ethnie contre l'Etat.
Les droits des peuples sont-ils vraiment incompatibles avec les droits de l'homme, comme tend à le faire croire la vision étroite du jacobinisme, niant toute communauté hors l'Etat ou la stigmatisant comme formation sociale rétrograde et archaïque ? La paix sociale ne peut-elle exister en conciliant les deux exigences ? La démocratie saurait-elle sans se renier elle-même évacuer la demande de reconnaissance identitaire comme "perception que les gens ont d'eux-mêmes et des caractéristiques qui les définissent comme êtres humains"

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La révolution


Comment résister aux puissances extérieures et quelle forme nouvelle de société adopter pour y parvenir, puisque l'organisation traditionnelle a échoué dans cette tâche ? Cette question fut et est encore l'objet d'un débat entre les différents courants politiques qui ont opté pour des stratégies variées.
Déjà, au début du siècle, Kaosen fut le promoteur d'un projet étatique moderne qui heurtait les chefs traditionnels. En fait, il puisait son inspiration dans le système politique des ighollan de l'Aïr où les groupements, ayant renoncé au statut et au tribut, sont placés sur pied d'égalité au sein de l'assemblée . Ce modèle lui servit à concevoir non seulement les rapports entre les groupes et les catégories sociales en présence, mais également les liens entre individus. Combattant le paternalisme des anciens, il fut le premier à appliquer avec constance l'idée que tous les hommes sont égaux devant la loi et qu'un individu se définit par ses actions et non par son rang, sa classe, sa filiation. Ainsi, pour défendre le pays, il n'hésita pas à enrôler aux côtés des guerriers toutes les catégories sociales de "protégés", traditionnellement pacifistes. Dans le même esprit, il trouva légitime d'attaquer ceux qui s'étaient soumis à l'ennemi, quel que soit leur statut, délaissant l'idéologie de la protection pour se référer plutôt au libre arbitre et à la responsabilité morale de chacun.
Cette "révolution" a propagé ses ondes à l'intérieur de la société touarègue. Plusieurs grandes aspirations s'expriment aujourd'hui, faisant ricocher certaines visions de Kaosen. Tout en prolongeant la perception dynamique de l'univers que développe la philosophie touarègue , elles aboutissent à des changements de perspective importants dans la conception de l'ordre social.
De complémentaire et hiérarchisée qu'elle était, la relation entre les êtres est repensée sur le mode égalitaire. Ainsi est largement prôné l'abandon de la hiérarchie sociale, dont les échelons ont d'ailleurs été déjà nivelés, disent les intéressés, par la misère et la domination extérieure.
Un prolongement de cette revendication interne est formulé par les femmes qui réclament l'équivalence des rôles masculins et féminins. Difficile à accepter par les hommes qui se sentent remis en cause sur leur terrain d'action ­ la guerre et la gestion des rapports avec l'extérieur ­, cette aspiration sonne aussi le glas des prérogatives dont jouissait la femme touarègue, placée sur un piédestal, protégée et adulée. Ce renoncement des femmes à leurs privilèges et leur désir de changement de statut sont en effet associés à une critique implicite des hommes qui n'ont pas su faire aboutir l'action armée engagée. Le constat de l'incapacité masculine par les femmes, ces "usines à critique" comme le dit un jeune combattant, et de l'autre côté la honte et la culpabilité des hommes traversent certains discours sur la situation actuelle.
Enfin, l'égalité des combattants révolutionnaires est une exigence que beaucoup opposent à la hiérarchie militaire inculquée récemment aux ishumar dans les casernes libyennes et qui a abouti à l'instauration d'une disparité entre les droits et les devoirs de chacun.
L'attachement à un modèle politique fédéraliste, au rôle des assemblées et des délégations à tous les niveaux de la société, à l'autonomie relative de chaque unité articulée à l'ensemble par un système d'arbitrage, s'exprime et débouche sur une conception ouverte et plurielle de la nation vue comme "un carrefour de toute l'humanité". Comme le disent certains, il s'agit de "trouver une formule qui réunisse l'ensemble du pays et des nations" en les bâtissant "sur des piliers nobles qui respectent la dignité de tous".
Par contre, à la volonté manifestée au début de la lutte de rester unis, pairs et solidaires, s'est substituée la constatation déchirante des fractures de la résistance illustrées par la scission des mouvements armés, par la coupure entre combattants de base et chefs de fronts, ainsi que par l'abîme qui s'est creusé entre les aspirations du peuple et le résultat des négociations avec les autorités.

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Seulement à cause de la couleur de notre peau

Pogrom : trois témoignages
Khama ould Attahir
Attaher ould Atta
Femme anonyme

Propos recueillis en touareg par Hawad en février 1995 au camp de réfugiés maures et touaregs de Luta, au Burkina Faso. Les trois interlocuteurs, deux hommes et une femme, sont des Kounta originaires de l'Azawad, dont les clans étaient intégrés au pôle politique des Touaregs de l'Ouest (Tademekat). Ces personnes avaient émigré depuis les dernières sécheresses dans des villes du Sud, à Mopti et à Hombori, vivant de petits commerces ambulants.


Khama ould Attahir

Un petit commerce de misère
Nous, nous sommes des "pauvres" (tilaqawin) qui faisions un petit commerce de misère à Mopti, si on peut appeler ainsi quelques poignées de dattes, sel, sucre et thé que nous rachetions aux grands commerçants. Certains d'entre nous n'avaient même pas de table ni de nappe pour étaler les poignées de leur commerce mais seulement des plateaux en émail et des planches de bois portés à la main et, toute la journée, ils sillonnaient la ville de maison en maison et de lieu en lieu pour les vendre Tout un commerce de misère ! Au début, nous cohabitions avec les gens de la ville, même s'ils nous humiliaient et nous injuriaient, nous restions dans la ville sans sentir de menace physique, mais par contre, notre honneur était atteint tous les jours. Nous vivions à la sueur de notre labeur, nous côtoyions les vrais citadins. Ceux qui étaient riches ne nous remarquaient même pas et nous n'aurions jamais cru qu'un jour, quelqu'un oserait se dresser et chercherait à nous tuer à cause de la couleur de notre peau. Par contre, nous nous doutions qu'on nous attaquerait plutôt à cause de nos biens, mais comme nous n'étions pas riches, nous pensions que personne ne pouvait nous toucher.

Toute la ville est tombée sur nous
C'est ainsi que nous vivions à Mopti jusqu'au jour où la nouvelle est arrivée qu'Abamba, une petite ville du bord du fleuve située entre Gao et Tombouctou, avait été attaquée par des combattants touaregs et leurs Maures. Ils ont attaqué l'armée du Mali. Alors, à peine l'événement connu en ville, d'un coup, la nouvelle s'est répandue. Nous, ce jour-là, un jour de dimanche, nous nous occupions de nos petites affaires. Les habitants de la ville nous ont laissés le matin étaler nos paquets, mais certains commençaient à colporter la nouvelle à travers la ville. A huit heures du matin, alors que nos étals étaient sortis, brusquement toute la ville nous a attaqués. Ils étaient armés de machettes, de lances, de poignards et de bâtons. La foule s'est avancée comme un paravent, encadrée à l'arrière par la police, l'armée et leurs chefs. Une fois proches de nous, ils se sont divisés en deux : ceux qui étaient armés se sont mis en arrière et ils nous ont envoyé ceux qui n'étaient pas armés. Ils sont venus comme des acheteurs qui demandaient le prix de nos marchandises, mais c'était pour donner aux autres le temps de nous attraper. La mise en scène de ceux qui disaient "combien ?" et qui nous injuriaient n'a pas duré quand la meute nous a attaqués. Les armes ont commencé à pleuvoir. Ceux qui étaient armés derrière surgissaient et attaquaient. Ils nous ont frappés, bousculés, nous sommes tombés, ils précipitaient la mort sur nous, nous avons vu toutes les mains de la ville, les unes qui nous frappaient et les autres qui pillaient nos misérables commerces, nous, les Touaregs et les Maures, réunis par la couleur de notre peau. Nous n'étions pas forts ce jour-là car nous n'étions pas armés, nous tombions sous les coups et leurs hurlements de rage.
La ville est tombée sur nous, toute la ville. Nous, non seulement nous n'étions pas armés et peu nombreux, mais surtout, nous avons été pris par surprise, sans pouvoir nous réunir. Chacun s'était éloigné des autres pour tirer avantage de son commerce et ne pas se faire concurrence.

Seulement à cause de la couleur de notre peau
La ville s'est mise à frapper les hommes sans laisser les femmes ni les enfants. Ils frappaient et pillaient. L'armée et toutes les forces du Mali qui étaient derrière eux regardaient et suivaient au cas où une résistance apparaîtrait de notre côté pour prendre l'assaut. Encore, je me rappelle, avant qu'on ne m'écrase, j'ai vu un Arabe, mon voisin de commerce, appelé Didi ould Khamou. Je le vois quand ils l'ont frappé ; il est tombé à terre et d'autres l'écrasaient et d'autres encore plus nombreux se sont mis en meute à arracher sa misère de commerce. Mais ould Khamou avait l'âme dure. Je le vois encore tomber et se soulever, on le frappe et à nouveau il tombe et se redresse, il titube, on le frappe, et encore une fois il tombe et se remet debout, il se sauve, on le poursuit et je le vois courir comme un chien traqué par une meute humaine jusqu'à tomber sous les pieds d'un policier. Il s'accroche aux jambes et au pantalon du policier. Le policier qui surveille la sécurité de la ville encadre la meute qui assassine Didi ould Khamou. Le pauvre innocent est massacré aux pieds du policier qui surveille la ville et il se fait massacrer par les mains de toute la ville seulement à cause de la couleur de sa peau.
De mon côté, j'ai tenté de me protéger. J'ai continué à essayer de résister pour protéger ma marchandise car elle faisait aussi partie de ma vie, mais rien ne m'a protégé. La meute enragée s'est ruée sur moi. Je suis tombé, je me suis redressé, j'ai couru devant les yeux de l'autorité et une nouvelle meute encore est venue m'accueillir et m'a traqué. J'étais encerclé et encore les coups tombaient sur moi, comme pour Didi ould Khamou, et des mains commençaient à me frapper de nouveau et à voler ma marchandise. Les cris de haine poussés par toutes les bouches de la ville en une seule clameur avec leurs mains sans nombre m'ont fait perdre connaissance et quand je suis revenu à moi, j'étais un mort vivant entre les mains miraculeuses d'un Bambara, mon voisin. C'est lui qui m'a extirpé hors des poings et des cris de haine. J'étais mort vivant. Dans cette situation, les civils Bambara qui habitaient la ville, une ville de Peuls et de Songhay, ne se sont pas comportés comme les Bambara qui sont au service de l'Etat malien. Ils ont refusé de se joindre à la meute qui nous frappait. Est-ce parce qu'eux aussi sont minoritaires dans cette ville, qui est loin de leur pays, ou à cause d'un regard humain, je ne sais ! Mais les civils Bambara, les pauvres, ceux qui n'ont pas de rapport avec l'Etat, ne nous ont pas touchés et certains nous ont même protégés, comme ce fut le cas pour moi.

Déchiqueté par la meute enragée
Un pauvre jeune homme, avec sa planche posé sur un carton, a été déchiqueté par la meute enragée. Elle l'a presque mangé. Je le vois encore, lui aussi, donner le dos au mur. Il essaye d'abord de défendre sa vie, son commerce, avant de défendre son âme. Il a renversé sa marchandise sous ses pieds et utilise la planche comme bouclier. Il paraît décidé à résister car il ne fait pas de différence entre la mort de son corps et celle de la perte de son capital, unique mamelle qui nourrit sa vie. Il vendait comme nous des poignées de sel, de dattes, de sucre et de thé, faisant vivre avec cela une grande famille de plus de dix personnes. Je le vois encore, la foule le frappe, et il bloque les coups avec la planche, le dos au mur ; il est encerclé et une partie de la meute le frappe, les autres comme des hyènes ramassent les débris de son commerce à ses pieds. Je le vois, on le frappe jusqu'à ce que la planche, bouclier protecteur de sa vie, se brise. Alors, d'un coup il a oublié son avenir économique et s'est soucié du présent, de lui-même, encerclé et menacé. Il a lutté sans plus de planche à la main. Son capital s'était brisé et c'était au tour de sa tête d'amortir les coups. On l'a frappé à la tête, il est tombé sur la poussière et le sang, le thé, les débris de sucre, de dattes et les petits cristaux de sel qui étaient son capital et que la meute n'a pu ramasser car les nouées de chiffon qui les contenaient s'étaient déchirées.


Attaher ould Atta

La capacité de l'homme à se métamorphoser
Moi, c'est dans une autre ville qu'une foule haineuse est tombée sur moi. Moi aussi, ce jour-là, j'étais assis comme d'habitude derrière une table où j'avais étalé des pincées de dattes, de sel, de thé, de sucre pour les vendre. A côté de moi, se tenait mon fils cadet, très jeune. Alors une meute de Songhay est arrivée, encadrée par la milice Gandakoy, elle-même encadrée par l'armée malienne. Ils m'ont d'abord envoyé leur émissaire qui me posait des questions pour savoir si j'habitais dans cette petite ville de Hombori. Je leur ai dit : "Oui, vous me voyez, je vis là, et je vis de mon petit commerce." Ce qui est absurde et qui illustre la capacité de l'homme à se métamorphoser, c'est que celui qui m'interrogeait et avait guidé la meute de la haine vers moi, c'était chez lui que je louais l'habitation où je vivais avec ma famille depuis trois ans et je lui payais chaque mois un loyer. Mais ce jour-là, il ne m'a pas reconnu : est-ce la rage qui l'avait rendu aveugle ou plutôt le désir de manger la peau rouge. Je lui ai répondu : "Pourtant, depuis trois ans, je te paye mon loyer chaque mois." Il m'a répondu catégoriquement : "Moi, je connais ton argent, mais toi, je ne te connais pas. Et maintenant debout, quitte-nous ton commerce et suis-nous."

Ils ont déchargé leur mitraillette sur ma femme
On est parti avec mon fils. Ils nous ont poussés jusqu'à arriver devant leur chef, qui était le chef de l'armée du Mali de cette région, assis dans la cabine d'une voiture où était arrimée une mitraillette. Il m'a dit : "Toi et ton fils, vite, en voiture." On est monté dans la voiture mon fils et moi, mais au même moment, mon épouse (tamghart) leur a dit : "Qu'est-ce que c'est cette histoire, mon fils et mon mari, que vous ont-ils fait pour que vous les embarquiez ?"
Alors, ils ont déchargé leur lourde mitraillette sur ma femme devant moi, je l'ai vue tomber sur ses entrailles, elle est morte en répétant : "Même si nous sommes rouges et arabes ou touaregs, nous ne sommes pas des rebelles ni des coupeurs de route et, jusqu'à aujourd'hui, nous avons payé des impôts au gouvernement et nous sommes soumis à son armée." Alors là, un des chefs militaires Bambara a retrouvé sa conscience humaine et a empêché que la meute se rue sur moi, une meute de gens du peuple et de militaires en grande partie Songhay. Il m'a protégé et m'a emmené dans la voiture jusqu'à sortir loin hors de la ville. J'ai couru, mon fils a couru de son côté, nous sommes devenus fous, je ne l'ai pas revu jusqu'à aujourd'hui et moi, en un seul jour, j'ai quitté le Mali en direction du Burkina à la recherche d'un abri. En un seul jour de marche, j'ai parcouru un trajet de deux jours. Me voilà à présent, errant dans ce camp de réfugiés qui n'a de réfugiés que le nom car il ne reçoit aucune aide, même pas une goutte d'eau, du HCR (Haut-Commissariat aux réfugiés) qui pourtant, il y a cinq mois, est venu nous recenser et ensuite s'en est retourné dans ses bureaux du Burkina, mais jusqu'ici aucune nouvelle.

Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus une tache blanche ou rouge
Ainsi, nous les Touaregs et leurs Arabes que le Mali a tués, non seulement nous étions innocents, mais nous étions une cible facile. A cause de la couleur de notre peau, la meute nous a chassés et pillés. Encadré par l'armée, le peuple noir de cette région, quand il nous frappait en meute, à haute voix criait, dansait et chantait en répétant : "tuez les rouges" et "balayez le Mali de tous les rouges" : kokégé en bambara et les Songhay en chur répétaient : ho may ga, voilà l'hymne de toutes les meutes du Mali qui balayent les rouges en disant : "nettoyez sec pour faire briller la couleur du Mali". C'est avec ce slogan qu'ils nous ont massacrés et chassés jusqu'à ce qu'il n'y ait plus une tache blanche ou rouge pour souiller la noirceur propre du Mali, blanchie par le rouge du sang de la blancheur des Touaregs et des Arabes qu'on nettoie et qu'on balaye par le feu, les couteaux et les bâtons simplement parce qu'une petite aile des Touaregs et des Arabes a pris le maquis et s'est mise à affronter l'armée du Mali pour arracher leur vérité qu'on leur a volée depuis l'époque de l'esclavagisme français qui a confié leur pays au Mali et au Niger.


Femme anonyme

La couleur de notre peau est devenue un défaut
Moi aussi, j'ai habité Mopti avec mon mari. Il était comme ces deux témoins qui d'ailleurs sont nos frères. Nous vivions d'un petit commerce des mêmes denrées, qui nourrit beaucoup de ceux du Nord venus du désert de Tombouctou et qui vendent quelques poignées de dattes, de sel, de sucre Nous n'étions que des pauvres, qui gagnions notre vie dans ce petit commerce, une vie qui ne désirait rien d'autre que la survie au jour le jour, c'est tout.
Mais seulement, la couleur de notre peau est devenue un défaut et nous a attiré une haine et une violence nettoyeuses. Cela faisait dix-huit ans que étions à Mopti. Jamais, nous n'avions fait de mal à personne. Nous aussi, nous recevions beaucoup d'humiliation avant, parce que nous sommes pauvres et peut-être parce que nous étions différents, mais personne n'avait trouvé de brèche pour nous attaquer. Bref, comme toute la foule, nous suivions la voie tracée par le Mali. De toute façon, nous n'aurions pas osé ni n'aurions eu les moyens de nous écarter du droit chemin. Nous habitions à Mopti. Pendant la journée, les hommes s'occupaient de leur planche de commerce et nous les femmes, nous nous occupions des maisons, on faisait de l'artisanat, des coiffures, il y en avait qui fabriquaient des cordes. Mais brusquement, un jour, toute la ville noire a fondu sur nous en criant : "Tuez les rouges, tuez les blancs." D'ailleurs ces mots souvent sont associés. Ils disaient : "Nettoyez le dos de la terre, arrachez les rouges de toute la ville de Mopti."

Le nettoyage des taches rouges
En un clin d'il, toute la ville de Mopti est devenue une nuée de hurlements de haine et de bras noirs qui brillaient proprement, armés de machettes, de lances et de poignards mais aussi de sabres, de bâtons, de haches, de fusils, toute une tornade de haine et de violence qui se dirigeait vers nous, nous les quelques taches rouges, je parle de notre peau. Ils voulaient nettoyer le pays par notre sang. En un instant, comme la tempête noire de la mort, nous avons été noyés sous la violence.
Nous qui étions dans les maisons, quand nous avons eu la certitude des violences menées contre nos hommes, déjà la nuée de haine, dans tout son paroxysme, était tombée sur nous aussi. Les mains de la meute nous frappaient, nous jetaient tout ce qui pouvait faire mal. Mais le plus horrible dans toute cette tornade, c'était le regard exorbité et troublé qui uniformisait tous les yeux de la foule qui se dirigeait vers vous et vous encerclait. Et vous, face à cette masse en rage, vous n'étiez rien qu'une minuscule tache. Je vais revenir aux coups et aux jets qui nous assaillaient, mais le plus horrible que je ne peux oublier, c'était le regard avant l'action. Les coups et les jets de bâtons tombaient sur mes surs, mes voisines et moi. Comme des chiffons, nous tombions. De mon côté, je voyais mes surs et mes voisines piétinées par la meute de rage qui se dirigeait vers ma tête. Je reçus deux coups de coupe-coupe tranchants et de nombreux autres coups venant de mains différentes. Je les recevais sur les épaules, j'en bloquais certains avec mon bras, mais le rouge du sang de mes veines enterré sous le rouge du regard en feu de la meute m'a fait perdre conscience, ma vue et ma mémoire se sont embrumées dans la haine et les hurlements de la foule. Tout s'est déroulé sous les yeux de l'armée et de la police du Mali. C'est eux qui les encadraient, les excitaient, les orientaient et leur montraient les cibles les plus faciles que nous étions, nous les rouges, touaregs et arabes.

Déversés comme on vide une poubelle
J'étais comme morte moi aussi. Je ne sais quelle main de la paix m'a ramassée avec mon sang, mes blessures et mes hardes. Quand j'ai repris conscience, j'étais dans un véhicule de la police du Mali, seule, sans mari ni enfants, ni frères ni voisins. Mais j'étais avec quelques personnes avec lesquelles je partageais la chance et la peau rouge. On nous a emmenés. Maintenant, c'était la police qui nous balayait : comme une poubelle, les policiers nous ont amenés eux-mêmes en exil, loin de notre pays.
Ainsi, l'Etat du Mali serait peut-être purifié de l'impureté de l'épiderme blanc ou rouge des Touaregs et de leurs Arabes. Les policiers maliens nous ont escortés jusqu'à la frontière du Burkina et en pleine brousse, sans eau ni nourriture, ils nous ont déversés comme on vide des déchets.
Alors, à pied, nous avons marché en traînant nos blessures et nos corps malades, assoiffés, affamés et l'âme endeuillée. Nous avons traîné tout cela jusqu'à ce camp de réfugiés. Nous voici, et maintenant, c'est au tour du HCR de nous faire souffrir comme s'il était complice de nos bourreaux.
Certains de nous, depuis la ville de Mopti, se sont sauvés en direction du nord vers la Mauritanie, d'autres ont traversé le désert et la soif vers l'Algérie et d'autres à pied sont partis jusqu'en Libye. Chacun a pris la direction vers où l'a poussé la violence et une grande partie de ceux qui ont pu échapper aux massacres avec leurs blessures sont morts de soif et de faim dans le désert et la brousse entre l'endroit d'où ils ont été chassés et leur refuge.

Je veux être un taxi de la liberté
Jusqu'à aujourd'hui, quand je pense à ce qui nous est arrivé au Mali, uniquement et simplement à cause de l'apparence de notre peau, la violence voile ma vue. C'est une violence qui me dit que si moi aussi j'en trouvais les moyens, je ne laisserai rien debout de l'Etat du Mali. Je veux tout faire affaisser, je veux tout casser comme l'armée du Mali et son peuple l'ont fait pour effacer toutes les traces de notre existence dans notre propre pays. Je ne parle pas du Mali mais de cette région du nord de Gao et de Tombouctou, l'Arabanda, qui était notre pays avant qu'il ne devienne le Mali.
Aujourd'hui, puisque j'ai le droit d'errer dans ce camp qui n'a rien d'un camp de réfugiés, c'est plutôt un camp de déchus, je vais dire, parce que j'ai pris du recul, qu'une seule chose me donne l'espoir de vivre en surpassant mon ennemi : c'est le désir de la justice et de la construction du pays et de notre nation (tumast), en les construisant sur des piliers nobles et qui respectent la dignité de tous.
Dans mon âme, c'est vrai qu'il y a le désir de vengeance et de revanche sur l'injustice qui nous a frappés, nous, les Touaregs et les Arabes, nous, les innocents qui n'avions rien et jamais rien gâché, nous qui n'avions commis aucune faute et ne portions aucun défaut sauf celui de la couleur de notre peau.
Dans mon cur, se superposent des quintaux de violence et de vengeance contre les Etats qui nous ont mis en joue comme un gibier à chasser, mais ces quintaux de rage, de haine et de vengeance contre l'Etat, je les refroidis par une volonté violente de saisir et de piller notre vérité. Notre vérité que nous n'aurons jamais sauf par notre travail, nos forces et notre désir de construire notre pays et notre liberté dans notre pays. Si ce n'était pas cela, en cet instant, je me vengerais du Mali, violence pour violence et je mourrais l'âme en paix. Mais, à mon avis à moi, il n'y a pas de paix pour moi ni pour les nôtres sauf combattre, travailler jusqu'à trouver notre vérité. Cherchons la force et l'organisation (enemenek) ; quand nous atteindrons notre vérité, par tous les moyens, ayons les forces utiles pour l'arracher aux Etats avec notre pays et par notre vérité, nous construirons et redresserons le pays et la vérité.
Vous, surtout ceux de l'Europe, qui nous avez pillés autrefois et qui avez usurpé notre vérité en la donnant à d'autres pays, pour nous faire mentir avec notre vérité, vous me dites : "Quand tu auras ton pays de désert aride et non développé, qu'en feras-tu ?"
Moi qui connais la liberté de jadis et son absence aujourd'hui, je vais vous répondre : je veux seulement errer en toute liberté dans mon pays, seulement dans mon pays, je veux être un "taxi" de la liberté, qui n'est guidé et conduit dans son pays que par le vent de la liberté. Par la liberté de l'air, je veux sillonner le pays, je partirai d'est en ouest, du sud au nord, seulement comme le vent liberté. Mais, pour être un taxi de la liberté dans le désert de mon pays, il nous reste encore beaucoup de marches et de luttes jusqu'à pouvoir arracher notre vérité.

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